Albums

2017
Trios pour violon, violoncelle et harpe par Valérie Milot, Stéphane Tétreault et Antoine Bareil
Étiquette: Analekta
No de catalogue: AN 2 9888
Ma contribution à cette production incroyable
Réalisateur, Ingénieur son et Mixage
Récompenses
Nomination
Nomination
Projet

Source: Analekta

Compositeurs:

Ibert, Jacques | Renié, Henriette | Halvorsen, Johan |Schubert, Franz

Interprètes:

Milot, Valérie | Bareil, Antoine | Tétreault, Stéphane

TRIOS POUR VIOLON, VIOLONCELLE ET HARPE

 

Texte de Florence Brassard

Axé sur la musique française de la première moitié du XXe siècle, cet album nous permet d’apprécier le subtil alliage des sonorités de la harpe, du violoncelle et du violon à travers les trios de Jacques Ibert et d’Henriette Renié. L’exploration du répertoire de cette époque se poursuit avec la Danse des lutins, pièce de haute voltige pour harpe seule, de la même compositrice. À la manière de rappels, Antoine Bareil et Stéphane Tétreault nous offrent l’éblouissante Passacaglia pour violon et violoncelle de Händel/Halvorsen avant d’être rejoints par Valérie Milot dans une transcription d’un lied de Schubert, finale introspective et toute en douceur.

Jacques Ibert est né à Paris en 1890. Il est initié au piano par sa mère, excellente pianiste, et se découvre rapidement une vocation musicale. La volonté paternelle de le voir faire carrière dans le commerce retarde l’entrée de Jacques au Conservatoire. Il s’y présente seulement en 1911, et voit son cursus interrompu par la guerre, dans laquelle il décide de s’impliquer par devoir moral– même si son état de santé délicat aurait pu l’en dispenser. En dépit de ses quatre années de service, Ibert obtient le Premier Grand Prix de Rome en 1919. Les trois ans qu’il passe comme lauréat à la Villa Médicis sont le prélude à une durable relation avec l’Académie de France à Rome, dont il devient directeur en 1937. Il s’y trouve le 10 juin 1940, lorsque Mussolini déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne : contraint de rentrer au pays, il a tout juste le temps d’être mobilisé avant que l’armistice ne soit signé. La guerre est une période difficile pour Jacques Ibert : le compositeur dut user de maints stratagèmes pour éviter de collaborer avec les Allemands, qui auraient souhaité le voir l’impliquer dans la vie musicale parisienne.

C’est à cette époque que sa fille Jacqueline, talentueuse harpiste d’une vingtaine d’années, lui « commande » un Trio pour violon, violoncelle et harpe (1944) – en échange de quoi elle promet de lui remettre toutes les cigarettes(!), si rares en temps de guerre, sur lesquelles elle pourra mettre la main. Caractérisé par la finesse de son écriture et par sa texture aérienne, le Trio s’ouvre sur un Allegro tranquillo lumineux. L’Andante sostenuto qui lui succède, où de sensuelles mélodies de violon et de violoncelle s’entremêlent au-dessus des riches harmonies de la harpe – dans les première et troisième parties – semble suspendre le cours du temps. qui se précipite toutefois dans le vif Scherzando con moto, s’apparentant à un mouvement perpétuel, qui clôt le Trio.

Née en 1875, Henriette Renié apprend le piano dès la petite enfance. Elle est fascinée par la harpe à partir de l’âge de cinq ans, mais doit attendre sa huitième année – soit le temps qu’elle devienne suffisamment grande pour que ses mains atteignent les cordes! - avant de commencer à pratiquer cet instrument. Lorsqu’elle peut enfin s’y consacrer, ses progrès sont fulgurants : à onze ans, elle obtient déjà un Premier Prix du Conservatoire de Paris. 

Quelques années plus tard, Henriette Renié devient la première jeune fille à suivre des cours de fugue et de composition dans cet établissement, auprès de Charles Lenepveu. C’est à ce « cher maître » qu’elle dédie son Trio pour violon, violoncelle et harpe. Composée en 1901, soit l’année où a lieu la création de son Concerto en ut mineur pour harpe et orchestre, cette oeuvre de musique de chambre s’inscrit manifestement dans une volonté d’amener la harpe au-delà du rôle orchestral auquel elle était jusqu’alors confinée. Le Trio pour harpe, violon et violoncelle d’Henriette Renié allie le raffinement harmonique caractéristique de la musique française à la cohésion
thématique typique de la tradition germanique.
L’oeuvre commence par un Allegro risoluto de forme sonate, dont certains passages évoquent le premier mouvement du Quintette avec piano en fa mineur de César Franck. S’ensuit un Scherzo très contrasté, dans lequel la simplicité presque rustique de la section centrale s’oppose au caractère fantastique, furtif et mystérieux des première et troisième parties. Après l’Andante, intime et poignant, le Final débute par une introduction énigmatique, où sont rappelés les principaux thèmes des mouvements précédents. À cette étonnante entrée en matière, où s’entremêlent
reconnaissance et incertitude, succède un mouvement rapide aux accents folkloriques, qui conclut l’oeuvre dans une festive frénésie.

Henriette Renié a aussi contribué au développement du répertoire pour harpe seule, tant en transcrivant pour cet instrument de nombreuses oeuvres écrites pour le piano qu’en composant des pièces originales, comme la Danse des Lutins. À l’instar de plusieurs autres de ses compositions, il s’agit d’un morceau d’une grande virtuosité, dont l’inspiration a été puisée dans une oeuvre littéraire- en l’occurrence, ces quelques lignes tirées du Lai du dernier ménestrel de Walter Scott : « De joyeux esprits exécutent des danses légères au son d’une harmonie aérienne; […] vois leurs pieds agiles, écoute leur douce musique ».

Deux transcriptions terminent ce programme. D’abord, la Passacaglia pour violon et violoncelle (1894), de Johan Halvorsen, librement inspirée du dernier mouvement de la suite de clavecin n°7 en sol mineur de Georg Friedrich Händel. Cette série de variations mélodico-rythmiques sur une progression harmonique inéluctable constitue une formidable démonstration de l’agilité des deux instrumentistes, en plus de donner lieu à des moments d’une grande intensité dramatique.

Après ces feux d’artifice, harpe, violon et violoncelle
se réunissent comme pour un dernier rappel : l’adaptation du lied Lob der Tränen (Éloge des larmes), composé par Franz Schubert vers 1819 sur un texte d’August Wilhelm von Schlegel, qui peut s’entendre comme une méditation douce amère sur la fugacité de l’existence et l’éternité du désir.

© Florence Brassard

En savoir plus & écouter
Valérie Milot
Valérie Milot