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2022
Mozart: Célèbres sonates et fantaisie pour pianoforte par Luc Beausejour
Étiquette: Analekta
No de catalogue: AN 2 8931
Ma contribution à cette production incroyable
Réalisateur, Ingénieur son, Mixage et Ingénieur au master
Projet

MOZART AU PIANOFORTE
SONATES ET FANTAISIE

Mozart mit son immense capacité à rêver avec les sons au service de sa quête secrète d’amour et d’affection.

Norbert Elias,
Mozart, sociologie d’un génie, 1991.

Comme beaucoup de musiciens de son temps, Mozart jouait de plusieurs instruments, du violon, de l’alto, de l’orgue et, bien sûr, du clavecin, mais son préféré restait le nouveau pianoforte, qui, inventé en Italie au début du XVIIIe siècle, connaît dans les années 1770 des perfectionnements décisifs. Il fait la connaissance des instruments de Johann Andreas Stein à Augsbourg en 1777, un peu avant son second voyage à Paris, et une fois établi à Vienne, il appréciera tout spécialement ceux d’Anton Walter, s’en procurant un exemplaire en 1784. Ces instruments conviennent tout à fait au style que Mozart – comme ses contemporains – cultive, loin des constructions polyphoniques des générations précédentes. Et, au clavier, il préfèrera toujours le « goût », la « précision » et le « sentiment », tant dans ses sonates et ses concertos que dans les improvisations dont plusieurs écrits nous ont laissé le témoignage.

« Plus grêle que le piano moderne, avec des cordes plus minces [bien que doubles ou triples pour chaque touche], et produisant en conséquence un son plus faible, écrit Paul Badura-Skoda, lepiano de Mozart produit, avec sa richesse en harmoniques, un merveilleux effet de nesse, de transparence, de netteté, on dirait d’une couleur comme argentée. » Le pianoforte favorise en effet la clarté, surtout dans le registre grave ; les basses d’Alberti, si courantes à l’époque, y semblent naturelles et risquent moins d’être empâtées que sur un piano moderne, et les nuances dynamiques les plus délicates comme la claire distinction des plans sonores y sont possibles à l’infini.

À côté de séries de variations, fantaisies et autres pièces, on doit à Mozart quelque dix-huit sonates pour piano, qui s’échelonnent de 1774 à 1789. Avec l’inventivité qu’on lui connaît, il y porte à son apogée l’allegro de forme-sonate et s’inspire tant de la séduction galante de Johann Christian Bach que de la poésie d’un Johann Schobert. Sauf exception, leur amabilité souriante peut sembler au premier abord aller de soi, mais, de l’avis de Patrick Gale, « leur étude, même la plus sommaire, montre à l’évidence que leur “simplicité” est en fait de la retenue ; le respect des convenances de la forme musicale ». Pas très élevée dans la hiérarchie des genres, la sonate pour clavier « classique » est née en Italie et en Allemagne vers 1740 comme un loisir de salon à la portée des meilleurs amateurs. Jean et Brigitte Massin expliquent, en effet, que « la littérature pour piano est [alors] réputée comme un genre inférieur pour des raisons de consommation sociale, l’expressivité y est donc moins admissible ». Mozart y apposera les marques de son génie, mais il sera assurément plus libre et audacieux dans ses concertos.

Les avis divergent sur le moment de la composition des Sonates K. 331 et K. 333. Alors que certains les datent des premières années de l’établissement de Mozart à Vienne en 1781, d’autres estiment qu’elles ont été écrites ou amorcées lors de son second séjour à Paris, en 1778. Quoi qu’il en soit, la première sera publiée, en compagnie des K. 330 et K. 332, chez Artaria en 1784, et la K. 333, avec deux autres – le tout dédié à la comtesse Theresa von Cobenzl, une élève de Mozart –, chez Torricella la même année.

La K. 331 peut être vue comme une sorte d’hommage à l’esprit français. Tout à fait atypique en ce qu’elle ne porte aucun élément de forme- sonate, elle débute par un thème Andante grazioso et six variations ; celui-ci provient d’un lied populaire intitulé Rechte Lebensart (Le vrai savoir vivre), selon Jean et Brigitte Massin, une allusion ironique à la grossièreté des Parisiens à l’endroit du compositeur. Les variations qui suivent épousent divers climats et taquinent la virtuosité par des traits en octaves, des croisements de mains et autres arpèges brisés. Après un Menuetto avec un Trio tout de tendresse,survient le célébrissime rondo Alla Turca. L’empire ottoman, tout proche, inspire aux Impériaux une véritable fascination pour les mœurs et la culture des Turcs. Sur le plan musical, de Johann Joseph Fux à Christoph Willibald Gluck, les compositeurs tenteront, dans nombre de « turqueries », de reproduire, comme un amusement, les sonorités des instruments exotiques, les échelles modales et les rythmes distinctifs de la musique des janissaires. Mozart propose ici une marche simple, bien martelée, dans une alternance incessante entre modes majeur et mineur.

De proportions ambitieuses, la Sonate K. 333 aurait été complétée au retour de Paris, à Strasbourg, ou encore composée à Linz en décembre 1783. Sans doute prévue pour son propre usage, elle est bâtie à la manière d’un concerto, avec ses effets de tutti et solos, et montre un lyrisme proche de l’opéra. Par son entrée en matière, le premier mouvement, souple et ondoyant, rappelle quelques-unes des Sonates op. 17 de Johann Christian Bach, mais avec un développement beaucoup plus conséquent. Son Andante cantabile élabore une audacieuse progression harmonique et « saisit par [les] accents sombres et désolés de sa partie médiane », écrit Adélaïde de Place, avant que l’Allegretto grazioso nal, un rondo de forme libre, ne se termine sur une cadence de concerto.

Dans son catalogue thématique, Mozart, en 1788, donne à sa brève Sonate K. 545 le titre de Petite sonate pour débutants. Il enseignait, à Vienne, le piano à nombre de jeunes élèves, sans doute inégalement doués, et la production d’une telle œuvre, qui ne sera publiée toutefois qu’un an après sa mort, poursuivait sans doute des visées à la fois commerciales et pédagogiques. Elle reçut plus tard les surnoms italiens de Sonata facile et de Sonata semplice, « ce qui n’exclut ni la science, ni la maitrise, ni la nesse impressionniste du coloris », estiment les Massin. En effet, elle s’avère plus dif cile que prévu au premier abord, les gammes, arpèges brisés et autres gurations pouvant bien tenir en haleine le ou la débutant(e) en question. L’Andante, qui déroule une quasi-romance sur une infatigable basse d’Alberti, renoue avec le style galant de la jeunesse de son auteur. Et on retrouve un peu de la bonhommie de Joseph Haydn dans le joyeux Rondo final.

Quant à la poignante et contrastée Fantaisie K. 397, composée à Vienne en 1782, elle représente « le type même de l’improvisation mozartienne, avec le pathétisme violent de son début […] et ses effets de récitatifs », selon les Massin. Laissée inachevée, son court nale fut complété par August Müller avant sa publication en 1804.

Dans son autobiographie, Carl Ditters von Dittersdorf raconte que lors d’un échange avec l’empereur Joseph II à propos de Mozart, son collègue à Vienne, il avoua n’avoir jamais « connu de compositeur qui ait possédé une richesse aussi surprenante d’invention », ajoutant : « Jamais il ne laisse souf er l’auditeur : à peine a-t-il proposé un thème sur lequel on voudrait rêver qu’il en esquisse un autre aussi magni que qui prend la place du premier, et ainsi de suite jusqu’à la fin. » Que dire de plus?
© François Filiatrault, 2021

 

Source: Analekta.com

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