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2009
Gustav Mahler: Das Lied von der Erde par Kent Nagano et Orchestre Symphonique de Montréal
Étiquette: Analekta
No de catalogue: OSMCD-7436
Ma contribution à cette production incroyable
Ingénieur son, Mixage et Ingénieur au master
Projet

L’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction de Kent Nagano, interprète Das Lied von der Erde (Le Chant de la Terre) de Gustav Mahler. Kent Nagano, désormais une référence en matière de répertoire lyrique et symphonique dirige cette œuvre émouvante, véritable méditation sur le destin humain.

La première du Chant de la terre a eu lieu le 20 novembre 1911, à la Tonhalle à Munich, dirigée par Bruno Walter.

Le titre est énigmatique et l’œuvre tout autant. Serait-ce une symphonie qui ne dit pas son nom? Après huit symphonies, Gustav Mahler (1860-1911), superstitieux, n’osait pas lui donner le numéro neuf, afin de ne pas tenter le destin. Il a choisi de rester entre les deux, intégrant le cycle des lieder dans le cadre symphonique.

Le Chant de la Terre est une saisissante méditation sur le destin de l’homme, pèlerin en ce monde, dont il doit se détacher. Déchiré entre les beautés de la Nature et la nostalgie de la durée éphémère de tout ce qui est vivant, c’est le chant ultime d’un homme face à la mort qu’il accepte avec sérénité. Ivresse, transe et érotisme se confondent dans la célébration des saisons. L’ombre de la mort plane, adoucie par la promesse de l’éternel retour du printemps. Ewig…Ewig…

Mahler a choisi une mosaïque de poèmes empruntés au recueil  » La flûte chinoise « , anthologie de la dynastie T’ang (8e siècle). De multiples traductions et adaptations ont été retouchées et complétées par le compositeur; le résultat final garde la finesse des images et de l’expression de la poésie orientale, avec des résonances de l’esprit romantique.

Le Chant de la Terre est divisé en deux parties de durée équivalente; la première comprend cinq lieder, tandis que le sixième lied remplit toute la seconde partie. Deux voix solistes – un ténor et une voix d’alto (ou baryton) avec l’orchestre – par leur dialogue, établissent l’harmonie des contraires qui sous-tend le cycle, autant dans les images poétiques que dans la vision cosmique de Mahler. Le premier et le dernier chant sont deux piliers de l’œuvre, question et réponse, entre lesquels se déroule un parcours de vie, toujours en polarité: nuit et jour, ivresse et méditation, automne et printemps, jeunesse et mort. Est-ce un rappel romantique du Yin et Yang ? Ou bien celui du double visage, apollinien et dionysiaque, qui habitent la musique et la nature humaine ? Au centre du Chant, une quête du sens de la vie, entre la réalité et le rêve, une célébration des joies terrestres dans l’éclairage de la sagesse orientale.

Comment Mahler a-t-il transformé cette poésie en musique? En utilisant les ressources du lied et de la symphonie réunis, un idéal qu’il cherchait depuis ses premières œuvres, le cycle des Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d’un compagnon errant – c. 1885) et les symphonies avec voix qui ont préparé le chemin. La structure d’ensemble est proche du cadre de ses symphonies, en particulier celui de la Troisième (1896), dont l’immense Adagio en mouvement final trouve l’écho dans L’Adieu du Chant de la Terre.

L’œuvre est imprégnée de sonorités pentatoniques, aussi bien dans le sens horizontal que vertical, et un réseau de liens thématiques parcourt tous les lieder, créant une unité d’ensemble. D’autre part, le chromatisme et l’orchestration subtile contribuent à brouiller les repères de la tonalité traditionnelle.

1. Das Trinklied vom Jammer der Erde (Chant à boire de la douleur de la Terre)

Le premier mouvement est une combinaison de la forme sonate et celle, strophique, du lied, évidente par le refrain  » Dunkel ist das Leben… « , repris trois fois. Cependant, on n’y trouve pas de répétition exacte; chaque apparition est aussi une modulation qui augmente la tension, selon la dynamique de la sonate, suivant l’intensité du poème. La voix de ténor évolue dans le registre extrême, à la limite du cri strident, amplifié par l’orchestre : le singe hurle sur les tombes, présage de la mort. Et la valse viennoise, déformée, tournée à l’envers, rappelle la vanité des plaisirs de ce monde. Le refrain est une pure réminiscence wagnérienne.

2. Der Einsame im Herbst (Le solitaire en automne)

Passage de l’automne à l’hiver:  » rondo des feuilles qui tombent « , mélancolique contemplation de la vie qui passe, image qui se projette dans la nature. Le même visage, le regard qui change. L’ondoyant ostinato du violon et le hautbois préparent l’atmosphère voilée du paysage sonore. Une subtile touche exotique est apportée par la gamme heptatonique chinoise (proche du mode lydien, sur fa), autour de laquelle la voix brode des arabesques, légères,  » comme si un artiste avait répandu la poussière de jade « . Deux thèmes – automne et souvenirs de l’été – sont développés en dialogue selon un schéma de rondo. Le texte et la musique rappellent certaines pages des Kindertotenlieder (Chant des enfants morts, 1901-1904): » Mon cœur est las. Ma petite lampe s’est éteinte « , et la dernière question:  » Le soleil de l’amour, ne brilleras-tu plus jamais ?  » trouve sa réponse sans paroles dans le retour de l’ostinato du violon.

3. Von der Jugend (De la Jeunesse)

Contraste par rapport aux précédents, les trois lieder qui suivent sont une sorte d’aphorisme, traçant d’un coup de pinceau des miniatures dans le style  » chinois « . Le plus léger et le plus court du cycle, De la Jeunesse, se trouve à la place du Scherzo dans une symphonie, dont il garde le caractère. Ici le ténor dramatique du début devient une voix lyrique d’un charme irrésistible; la jeunesse, l’insouciance vivent encore à la surface de la vie, comme le pont de jade au-dessus de l’eau. L’ambiance orientale est suggérée par la domination de la gamme pentatonique et celle à tons entiers; les flûtes brodent des ornements dans les hautes sphères, et à la fin, la musique s’évanouit comme un mirage. La structure d’ensemble est symétrique, en forme d’arche, en accord avec le poème, se terminant par le commencement.

4. Von der Schönheit (De la Beauté)

Scène de charme dans le décor champêtre – jeunes filles, fleurs et rivière – prépare la rencontre avec les jeunes gens, arrivant dans le tourbillon d’une chevauchée. Le crescendo anime la partie centrale; les percussions et les cuivres apportent une couleur éclatante (avec citation de l’Ouverture 1812, de Tchaïkovski ). Cela ne dure qu’un bref instant, avant que les souvenirs ne reviennent, nostalgiques et tendres. Sensualité, désir, érotisme sont suggérés par le poème et par la musique qui entoure la cavalcade. Le lied est structuré en une forme tripartite assez libre, avec des interludes entre les strophes, et un épilogue dont la subtilité illumine la gravité des autres lieder. La harpe, le glockenspiel, la flûte et la clarinette laissent en suspens les derniers sons qui s’évanouissent dans l’espace.

5. Der Trunkene im Frühling (L’homme ivre au printemps)

C’est le deuxième chant dionysiaque du cycle, parodie de la fête de printemps, car un seul chantre du dieu du vin y participe. C’est l’autre face de la première chanson à boire, dont l’écho traverse les contours mélodiques et les accents pentatoniques du cor qui l’accompagnent. La structure est ternaire, suivant fidèlement le poème.

La solitude, le tourment et l’ivresse du vin sont interrompus par le chant d’oiseau, messager du printemps. Un instant de retour à la réalité, (avec une autre citation des Kindertotenlieder), avant de remplir le verre et sombrer dans les rêves qui préparent L’Adieu.

6. Der Abschied (L’adieu)

Le gong sonne le glas. La marche funèbre est au centre de ce lied, allégorie de la vie et de la mort, accomplissement spirituel et musical du compositeur.  » C’est l’œuvre la plus personnelle que j’ai jamais créée  » écrivait Mahler à Bruno Walter. La transcendance émane de ce chant d’adieu au monde et à la vie.

Dans un paysage de crépuscule, au cœur de la nature, c’est l’attente de l’ami qui doit venir. L’ostinato des motifs qui se répètent, harmonies des gammes orientales, chromatisme avec des tritons parallèles et une sonorité orchestrale translucide, sur laquelle plane la voix venant d’un autre monde:  » O Beauté, o monde enivré d’amour et de vie éternels ! « 

 » Pourquoi doit-il en être ainsi ?  » Éternelle question qui jalonne la vie de chacun de nous. La figure pâle du cavalier – la Mort, l’Ami tant attendu – apporte la réponse. Elle est faite de consolation, de sérénité et d’acceptation. La musique abandonne tous les repères harmoniques et métriques, plane dans la réverbération du gong et du tam-tam, et se dissout dans le silence. Ewig…Ewig…

© Dujka Smoje

Source: analekta.com